Copyright © 2021 Robert BRASILLACH (domaine public)

Édition : BoD – Books on Demand GmbH, 12/14 rond-point des

Champs-Élysées, 75008 Paris.

Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt,

Allemagne.

ISBN : 9782322232550

Dépôt légal : avril 2021

Tous droits réservés

Sommaire

ÉPITRE DÉDICATOIRE SUR UN RYTHME DE BOILEAU

Mon cher Jacques Isorni, d'une plume qui grince

J'ai copié pour vous ces chansons un peu minces.

Elles n'ont, je le crains, d'autre mérite vrai

Que d'être le miroir d'un temps mal inspiré,

Et quand vous les lirez, qui sait ? votre mémoire

Pourra ressusciter ces jours de notre histoire,

Les prisons aux grands murs et Fresnes bruissant

Des vaincus qui parfois ont été des puissants.

Mais je voudrais surtout, si, fidèle à mon titre,

J'aligne sur Boileau les vers de mon épître,

Que vous trouviez ici sous le jeu que je fais

L'accent de l'amitié qui me plait étouffé.

Je ne sais pas le temps qu'à cette amitié laissent

Les fantoches narquois qui règlent nos vieillesses,

Je ne sais pas le temps qui nous reste promis,

Mais qu'importe le temps lorsqu'on a des amis.

Et dans une cellule où l'eau sans fin s'écoule.

Mieux qui, dans d'autres lieux, mieux que parmi la foule,

Je crois voir quelquefois le fantôme léger

D'une amitié qui naît filleule du danger,

Et Je me dis alors qu'il me suffit d'y croire

Pour emporter ce temps au fond de ma mémoire

Et pour être bien sûr que le sort long ou court

Ne pourra ruiner le charme de ces jours.

CHANT POUR ANDRÉ CHÉNIER (1774-1944)

Debout sur le lourd tombereau,

A travers Paris surchauffé,

Au front la pâleur des cachots,

Au coeur le dernier chant d'Orphée,

Tu t'en allais vers l'échafaud,

O mon frère au col dégrafé!

Dans la prison où les eaux suintent

Près de toi, les héros légers

Qui furent Tircis ou Aminte,

Riaient de ceux qui les jugeaient,

Refusaient le cri et la plainte,

Et souriaient aux noirs dangers.

La chandelle jetait aux murs

Leurs ombres comme à la dérive.

Les cartes et les jeux impurs

Animaient les jours qui se suivent,

Toi, tu rêvais d'un sort moins dur

Et chantais les jeunes captives.

Le soleil des îles de Grèce

Rayonnait au ciel pluvieux.

Perçait les fenêtres épaisses,

Et les filles aux beaux cheveux

Nageaient autour de toi sans cesse

Sur les vagues, avec les dieux.

Tu souhaitais dans les nuits noires

Une aube encor pour t'éclairer,

Pour pouvoir attendrir l'histoire

Sur tant de justes massacrés,

Pour embarquer sur ta mémoire

Tant de trésors prêts à sombrer.

Avec les flots de l'aventure,

A travers les jours variés,

Les heures vives ou obscures,

Un siècle et demi a passé.

La saison est encore moins sûre,

Voici le temps d'André Chénier.

Sur la prison fermée et pleine

Un monde encore a disparu.

O soleil noir de notre peine,

Une autre foule est dans la rue,

Comme dans la vieille semaine

Demandant toujours que l'on tue.

Dans la cellule où l'eau suinte

Un autre que toi reste assis,

Dédaigneux des cris et des plaintes,

Evoquant les bonheurs enfuis,

Et ranimant dans son enceinte,

Comme toi, les mers de jadis.

Au revers de quelque rempart,

Au fond des faubourgs de nos villes,

Près des murs dressés quelque part,

Les fusils des gardes mobiles

Abattent au jeu du hasard

Nos frères des guerres civiles.

J'entends dans les noirs corridors