Copyright © 2020 Honoré de Balzac (domaine public)

Édition : BoD – Books on Demand GmbH, 12/14 rond-point des Champs-Élysées, 75008 Paris.

Impression : BoD - Books on Demand GmbH, Norderstedt, Allemagne

ISBN : 9782322196661

Dépôt légal : juin 2020

Tous droits réservés

Source du texte original : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, cote RES-Li5-107

Titre : L'art de payer ses dettes et de satisfaire ses créanciers sans débourser un sou

Auteur : Balzac, Honoré de (1799-1850).

Date de première édition : 1827

Type : monographie imprimée

Langue : français

Langue : Français

Format : 150 p. ; in-12

Droits : domaine public

Identifiant BNF : ark:/12148/bpt6k1133790

Table des matières

AVANT-PROPOS

L'auteur de l'Art de mettre sa cravate lance dans le monde un ouvrage qui, bien qu'il ne soit pas de lui, va trouver bien des détracteurs, et lui attirer peut-être bien des persécutions. Comment! vont s'écrier une foule d'esprits étroits, ce baron de l'Empésé prétend ériger en science l'art affreux de donner à un créancier honnête de belles paroles pour de l'argent comptant? Mais c'est une infamie, une abomination! Il faut pendre un homme comme celui-là!...

Déjà d'inquiètes clameurs s'échappent des comptoirs de tous les négocians, fabricans, marchands et débitans; car il y en a quelques-uns qui ne voient pas plus loin que leur patente, et quelques autres dont la philosophie n'a guère plus de longueur que le parquet de leur établissement.

A la seule annonce de ce livre la peur va gagner le propriétaire, le restaurateur, le limonadier, le tailleur, la lingère, le bottier, le chapelier, le bonnetier, le marchand de vin, le boulanger, le boucher, l'épicier, etc., etc., et jusqu'au libraire même; tous les petits mémoires qui dormaient d'un profond sommeil vont aller éveiller en sursaut le modeste employé, l'inutile fashionable, l'artisan laborieux et l'égoïste rentier.

C'est un malheur; mais comme l'ont dit de grands écrivains du XIXe siècle: Le foyer des lumières s'étend de jour en jour[1].... Le genre humain est en marche[2].... La nation française ne peut rétrograder[3]... Les uns ont trop, les autres n'ont pas assez[4], etc., etc. Mettez-vous bien dans la tête que tant que l'on ne raisonnera que sur des spécialités pareilles, bêtises; il faut embrasser les grands intérêts sociaux et raisonner sur les généralités: le reste marchera tout seul, et ceci ne sera un contre-sens que pour l'épicier!... Mais qu'est-ce qu'un individu en comparaison de la masse?

Il est reconnu qu'il existe en France, et principalement à Paris, une quantité innombrable d'individus à qui la société ne doit rien, parce qu'ils ne font rien pour elle, et qui ne s'imaginent pas moins avoir le droit de frapper des réquisitions de toute nature, par cette seule raison que «il est évident que les uns ont trop et que les autres n'ont pas assez[5]

Or, quels sont les individus dont je veux parler? des hommes qui se classent bénévolement dans la catégorie des autres, en n'ayant pour toute industrie que celle d'exploiter, pour ainsi dire de force, la catégorie dont se composent les uns. Je dois donc prévenir le lecteur que cet ouvrage n'a été écrit ni pour eux, ni pour

«Un tas d'hommes perdus de dettes et de crimes,

Que pressent de nos lois les ordres légitimes,

Et qui, désespérant de les plus éviter,

Si tout n'est renversé, ne sauraient subsister.»

En un mot, pour ces êtres paresseux, improductifs et déhontés qui, pour la plupart gens de sac et de cordes, ne méritent que le mépris et l'abandon, allant partout étaler aux yeux d'un public généreux brevet d'incapacité, et ne se bornent qu'au triste rôle de consommateur à charge!....

Je le répète, ce n'est pas pour cette engence que cet ouvrage a été publié, mais bien pour cette classe d'infortunés, déshérités de leur part de la fortune nationale par une force majeure et indépendante de leur volonté; individus estimables sous tous les rapports, possédant toutes les qualités physiques et morales, tous les talens qui font le charme de la société, hommes éminemment producteurs, en un mot, hommes industriels, mais qui n'ayant pas une obole de revenu annuel, sont bien forcés de faire des dettes pour vivre honorablement. Hommes rangés et ayant des principes, ils n'en veulent pas moins satisfaire leurs créanciers d'une manière ou d'une autre, et pour cela ils sont obligés d'avoir recours à des moyens inventifs, à des efforts d'imagination qui laissent bien loin derrière eux les travaux, les découvertes et les opérations de toutes les classes réunies de l'Institut de France...

O vous! producteurs et consommateurs de toutes classes sans argent; vous qui aviez une place et qui n'en avez plus; vous qui en cherchez une et qui ne l'obtiendrez pas; vous qui en avez une qui n'en est pas une; vous qui écrivez dans les journaux libéraux; vous qui faites des brochures politiques et des petits livres in-32; vous qui commencez des maisons sans savoir comment vous les finirez; vous qui faites les beaux bras et des dettes à Paris, vous enfin qui faites tout comme a fait l'auteur de cet ouvrage, que de titres ne réunissez-vous pas pour qu'il vous offre le fruit de ses veilles et de ses méditations!

Par le temps qui court je vous vois exposé à aller à Sainte-Pélagie passer un, deux, trois et quatre termes, ou mieux encore, faire un bail de cinq ans!....... Ayez donc constamment sur vous ce petit Manuel du Droit commercial; avec un tel guide vous pourrez narguer les mandats d'arrêts, les mandats de dépôts, les mandats d'amener, les mandats que vous aurez souscrits au profit d'un tiers porteur, etc., etc., etc., voyager hardiment, tout seul et à la barbe des créanciers, dans les nombreux et brillans passages dont la capitale abonde.

Tandis que vous êtes encore libres, achetez l'ouvrage de l'oncle de M. le baron de l'Empésé, lisez-le, méditez-le, raisonnez-le, apprenez-le par cœur, afin de perfectionner votre éducation, si déjà elle est achevée: la pratique est jointe à la théorie.

NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR MON ONCLE

L'homme vraiment étonnant dont je vais entretenir un instant mes lecteurs, mon oncle enfin, fut un de ces individus privilégiés de la nature, et pour lesquels la fortune se plaît à opérer des miracles.

Dès l'âge le plus tendre il sut se mettre au-dessus de ces préjugés impérieux qui gouvernent la société et qui ne sont, philosophiquement parlant, que de grandes infirmités morales, en vivant de fait sur le pied d'un homme qui a 50,000 livres de rentes, bien qu'il n'eût jamais possédé de droit un sou de revenu.

Après avoir usé pendant soixante années consécutives de toutes les jouissances qu'il soit permis à l'homme de désirer et d'user, il fit une fin digne de lui en rendant le dernier soupir chez un restaurateur fameux, qui souvent avait été à même d'apprécier ses brillantes qualités et la puissance de son génie.

Mon oncle naquit à Saint-Germain-en-Laye le 1er avril 1761. Je ne parlerai pas des premières années de son enfance qui s'écoulèrent paisiblement comme celles de tous les enfans gâtés par leur mère. Ma grand'maman désirait depuis long-temps un gage de tendresse de mon grand-père; elle venait de l'obtenir après dix années d'union, et mon oncle en était le premier fruit (mon père ne vint au monde que dix autres années après). Mon grand-père, aussi aveuglé par sa tendresse pour son fils que l'était sa femme, ne sut pas distinguer toutes les passions qui viendraient un jour assaillir le cœur de son trésor, et quoique ce fût un homme d'esprit, il ne sut pas donner à son éducation la marche qu'elle semblait nécessiter.

Absent pendant neuf mois de l'année qu'il passait à son régiment de Royal-Cravate, où il avait obtenu le grade de major, il ne pouvait guère surveiller son fils, et était obligé de s'en rapporter à la sagesse de sa femme. Doué de toutes les dispositions nécessaires pour faire parler de lui un jour, le trésor de ma grand'maman avait aussi tous les petits défauts voulus pour en faire parler dans un genre opposé.

On lui avait donné des maîtres qu'il n'écoutait pas; il dansait avec son maître de latin, tirait des pétards au nez du maître de danse, mettait des bouts de bougie dans les poches du maître de dessin et des bouchons dans la flûte de son maître de musique. Dans les courts voyages que mon grand-père faisait à St.-Germain, mon oncle prenait son épée qu'il mettait à la place de la broche après y avoir passé son plumet en guise de rôti; il arrachait les poils du chat et faisait des moustaches au serin avec de l'encre. Ma grand'maman trouvait cela charmant; mon grand-père ne pouvait s'empêcher de rire en traitant toutes ses espiégleries de bagatelles, et disant que l'âge le corrigerait plus tard. L'âge vint et mon oncle ne se corrigea pas. Enfin, les choses devinrent telles, que personne ne pouvant plus tenir dans la maison, on prit le parti de se débarrasser du trésor. Mon oncle avait alors 10 ans.

Il entra au collége Louis-le-Grand à Paris, où, pendant les quatre premières années, il fit des progrès sensibles et mit à profit les précieux avantages qu'il avait reçus de la nature. S'il n'était pas le plus fort de sa classe en version, il était le plus fort à la balle; il se battait régulièrement deux fois par jours, se faisait mettre au pain sec cinq fois par semaine, recevait vingt-cinq férules à la fin du mois, et remportait deux prix et une demi-douzaine d'accessit à la fin de l'année; ma grand'maman était enchantée.

Au mois d'août 1777, mon grand-père étant à St.-Germain, vint à Paris avec l'intention d'emmener son fils passer une partie des vacances avec lui à son régiment. Il arrive au collége, se faisant une fête de le voir; il le demande........ Le visage du principal s'allonge......., sa physionomie se rembrunit....., il balbutie......, enfin mon grand-père apprend que depuis quinze jours son cher fils a disparu ainsi que la fille de la blanchisseuse de la lingerie, et qu'on ne sait où ils sont allés. Mon oncle venait d'atteindre sa seizième année.

Mon grand-père se garde bien d'apprendre à sa femme cette escapade. Il alla trouver M. de Sartines qui lui dit de revenir le soir. Pendant ce temps mon oncle fut déniché avec sa petite blanchisseuse dans un cabinet garni de la rue Fromenteau où il s'était réfugié. Son père le ramena à St.-Germain, sans lui faire aucun reproche; et, dès ce moment, il fut convenu qu'étant assez avancé dans ses études pour pouvoir se passer du collége, il les terminerait dans la maison paternelle.

Le cours d'études que mon oncle entreprit était assez agréable. Tous les matins il jouait à la paume ou au billard, allait le soir au bal, y faisait de nombreuses connaissances qu'il amenait chez sa mère boire le meilleur vin de son père, crevait des chevaux, brisait les voitures de ceux qui voulaient bien lui en prêter, et devait à tout le monde.

Dans la belle saison il allait à la campagne, tirait sur les chiens et même quelquefois sur les gardes de chasse après avoir fait des enfans à leurs femmes, tuait tout le gibier et empruntait de l'argent à tous les propriétaires des environs. L'hiver, il avait un duel par semaine et une prise de corps tous les mois.

Ce fut alors que mon grand-père résolut de le faire voyager pour tâcher de calmer une tête qui, disait-il, n'avait besoin que de réfléchir. Or, les voyages prêtant beaucoup à la réflexion, mon oncle fut envoyé aux Eaux de Bagnères qui étaient alors le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de plus distingué.

Là, il devint l'ordonnateur de toutes les fêtes, l'âme de tous les plaisirs. Ceux qui y étaient à cette époque (1784) se rappelleront encore la salle de spectacle qu'il construisit en deux heures de temps à Lourdes, où était arrivée, depuis quelques jours, une troupe de comédiens de province dans l'intention de continuer leur route pour la Capitale, au moyen de quelques recettes qu'ils comptaient prélever sur les rustiques habitans, en les gratifiant de deux on trois de leurs représentations.