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ISBN : 9782322390007
Dépôt légal : janvier 2022
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Un problème historique, posé il y a quelque temps en Italie, a soulevé dans ce pays des discussions nombreuses et passionnées. Tout le monde connaît le célèbre roman de Sienkiewicz, Quo vadis ? Les opinions peuvent varier sur la valeur de cet essai de reconstitution de la Rome néronienne, et de ce tableau des premiers rapports de l'Empire romain avec la chrétienté naissante. A coup sûr, on ne saurait refuser à l'auteur le don d'écrire des pages puissantes, et d'évoquer des visions du passé qui frappent vivement l'imagination et demeurent longtemps dans la mémoire. Plusieurs, cependant, préféreraient une manière plus ferme et plus concise, et regrettent que le dessin se dérobe trop souvent sous l'abondance et l'éclat des couleurs. J'avoue que telle est mon impression, quand je relis un des passages les plus admirés de son livre, la description de l'incendié de Rome. Le sobre récit de Tacite me paraît autrement expressif et émouvant. Quoi qu'il en soit, le grand succès du roman de Sienkiewicz n'a pas été étranger au progrès des études historiques, en rappelant l'attention sur les sources antiques où l'écrivain polonais a puisé les éléments de sa fiction. Un érudit italien, M. Carlo Pascal, professeur à l'université de Catane, et déjà connu par d'intéressantes Études d'antiquité et de mythologie1, y a trouvé l'occasion de soumettre à un examen nouveau le fait historique autour duquel se déroule l'œuvre du romancier, à savoir l'incendie qui dévora les deux tiers de la ville de Rome en l'an 64, et la sanglante répression qui le suivit. De là l'objet d'un mémoire publié en 1900 sous ce titre : L'Incendio di Roma e i primi Cristiani. Le succès de cet écrit n'est pas épuisé, car une quatrième édition vient de paraître, augmentée de plusieurs appendices, et portant la date de 19032. Écartant l'opinion la plus généralement admise par les historiens modernes, qui attribue l'incendie au hasard, et l'opinion populaire, rapportée par Tacite, qui l'impute à une volonté criminelle de Néron, M. Pascal dénonce les chrétiens comme en. ayant été les véritables auteurs.
On comprend l'émotion causée par une assertion de cette nature. Aux uns, elle a paru un paradoxe ; d'autres se sont sentis blessés par elle dans leurs sentiments les plus intimes. Je me hâte de dire que rien, dans le mémoire de M. Pascal, ne marque l'intention de porter le débat sur un terrain autre que celui de la pure science. J'ajoute même que son opinion parût-elle démontrée, les âmes les plus jalouses du bon renom du christianisme n'auraient pas lieu de s'en alarmer outre mesure. Comme l'a dit M. Boissier, avec la sûreté habituelle de son jugement, quelques insensés, quelques anarchistes se seraient glissés parmi les premiers disciples du Maître, qu'il n'en faudrait pas être trop surpris, ni en rendre le christianisme responsable3. Et le P. Semeria écrit de son côté : Sans doute il pourrait nous déplaire que quelques chrétiens se soient rendus coupables de ce méfait ; mais cela ne pourrait en faire rejaillir la tache sur le christianisme lui- même4. Rien de plus juste, et c'est dans ces sentiments que j'entreprends, à mon tour, d'examiner la thèse du professeur de Catane. La polémique à laquelle elle a donné lieu a été si peu dominée, dans son ensemble, par les préoccupations religieuses, que parmi les adversaires les plus déclarés et les plus redoutables de son opinion se sont rencontrés des hommes comme M. Negri5 et M. Cœn6, dont le jugement n'a, certes, pas été faussé, en cette matière, par une partialité préconçue en faveur des idées chrétiennes7.
1 Studi di antichita e mitologia, Milan, 1896.
2 Première édition. Milan, 1900 ; 2e éd., Turin, 1900 ; 3e éd. (française), Paris, 1902 ; 4e éd. (italienne). dans un recueil de mélanges publié par M. Pascal sous ce titre : Fatti e Leggende di Roma antica, 1903, p. 117-185.
3 Boissier, L'incendie de Rome et la première persécution chrétienne, dans le Journal des savants, mars 1902, p. 161.
4 Semeria, Il primo sangue cristiano, Rome, 1901, p. 55.
5 Negri, Nerone e il cristianesimo, dans Revista d'Italia, n° 8-9, 1899 ; et tirage à part, Rome, Soc. éd. Dante Alighieri, 1899.
6 Cœn, La Persecuzione neroniana dei cristiani, dans la revue Atene e Roma, n° 21-23, Florence, 1900.
7 On trouvera l'indication des principales publications auxquelles a donné lieu celle de M. Pascal, dans un article bibliographique de M. Profumo, Nuovo Bullettino di archeologia cristiana, 1900, p. 344-352.
Bien que d'autres écrivains des premiers siècles aient parlé de l'incendie de Rome, la question, telle que la pose M. Pascal, dépend du récit de Tacite. C'est donc celui-ci qu'il nous faut résumer, et citer même en partie, avant d'examiner les arguments proposés par le critique et les objections qu'ils soulèvent.
Tacite raconte que, le 19 juillet 64, éclata dans Rome un incendie qui fit plus de victimes et de ravages qu'aucun fléau semblable n'en avait encore fait dans la ville éternelle. Le feu prit dans le voisinage du Grand Cirque, au pied du Palatin. Dans cette partie de la onzième région, il y avait, dit Tacite, des boutiques pleines de marchandises, qui offrirent à la flamme un aliment facile : aussi l'embrasement fut-il rapide, et, poussées par le vent, les flammes enveloppèrent bientôt l'immense ovale du Cirque. Le feu, qui avait commencé dans une des parties basses de la ville, gagna ensuite les collines, redescendit dans les vallées et les espaces planes, et, suivant les ondulations du terrain, courut pendant six jours à travers Rome épouvantée. Sans doute, le dégât ne fut pas le même partout : là où la vieille Rome offrait ses rues tortueuses, ses énormes entassements de maisons, l'incendie n'épargnait rien : au contraire, dans les lieux non peuplés, où existaient de nombreux vides laissés entre eux par les monuments publics, comme au Forum, il fit relativement peu de mal. Pendant ce temps, le peuple, affolé, s'était enfui dans la vaste plaine, alors inhabitée, du Champ de Mars, et avait cherché un abri dans les édifices publics qu'elle contenait. Tacite peint à larges traits la foule des fugitifs ! emportant ses meubles, ses malades, parmi les cris des femmes, les lamentations dé tous : les uns se sauvent en toute hâte, les autres hésitent, s'arrêtent, ne peuvent se décider à quitter le lieu où fut leur maison : beaucoup périssent victimes de ces retards, ou, pouvant s'échapper, meurent pour ne pas survivre à des êtres chers. Personne, ajoute l'historien, n'osait se défendre contre le fléau, parce que beaucoup de gens faisaient entendre des menaces contre quiconque essayait, d'éteindre le feu, ou jetaient même des brandons pour l'exciter, criant qu'ils avaient des ordres : soit qu'ils en eussent en effet, soit qu'ils parlassent ainsi pour n'être pas empêchés de piller8.
Néron était à Antium, quand l'incendie commença. Il ne rentra dans Rome qu'après que le feu eut atteint sa demeure, située entre le Palatin et l'Esquilin. Néron fit de grands efforts pour venir en aide à la détresse du peuple : il donna, dans ses jardins du Transtévère, asile a la foule : il fit venir des meubles d'Ostie et des municipes voisins : il vendit du blé à vil prix. Mais ces soins, qui l'eussent dû rendre populaire, n'eurent point cet effet, dit Tacite, parce que le bruit s'était répandu que, pendant que brûlait la ville, il était monté sur son théâtre domestique, et avait chanté la ruine de Troie, comparant le malheur présent aux infortunes célèbres de l'antiquité9.
Après six jours, cependant, le fléau semblait conjuré. Le feu avait cessé au pied de l'Esquilin. Tout à coup, il se rallume dans un des quartiers les plus riants de Rome, au milieu des jardins et des maisons de plaisance dont le Pincio était couvert dès cette époque. Ce nouvel incendie, qui dévora beaucoup de beaux édifices, fit cependant moins de victimes que le premier, parce que dans cette région aristocratique, pleine d'espaces et de verdure, les maisons n'étaient point 10